Pour poursuivre le débat de ce matin (ce n’est pas un compte rendu du débat !)
En première approche il y a deux réponses opposées à cette question du "penser par soi-même" :
1 - On ne pense jamais par soi-même, car toutes nos idées nous viennent directement ou indirectement de l’extérieur, de nos expériences, de notre culture, de notre vécu etc.
2 - On pense toujours par soi-même, y compris lorsque l’on est imprégné d’une idéologie. Penser c’est choisir parmi toutes les idées que nous avons reçu. Nous sommes libres de choisir selon nos préférences.
Mais ne peut-on t’on pas opposer à cette réponse N°2, qui pose le « penser par soi-même » comme étant un libre choix de nos idées, la réponse N°1. Car en effet d’où nous viendrait les motivations de nos choix sinon de notre passé, de nos expériences, de notre vécu antérieur.
On ne sort donc pas ici de notre détermination par l’extérieur et l’on reste piégé dans l’interprétation déterministe que font à la fois la psychologie et la sociologie de nos processus de pensée.
A ce piège du déterminisme, dans lequel notre pensée semble prisonnière, on peut échapper en posant la pensée comme une activité critique, comme un effort pour se libérer de ce qu’on croit être ses propres idées, mais qui ne sont en fait que l’imprégnation dans notre esprit de ce qui nous vient de l’extérieur, de nos expériences, de notre passé, de notre environnement culturel etc. Dès lors on peut dire que penser c’est d’abord se mettre à distance de (ce que l’on croit être) nos pensées. Penser ce n’est pas produire des pensées, des idées, des opinions mais c’est au contraire les détruire, les critiquer, s'en distancier.
Ainsi la pensée (comme processus) est d’abord une activité autocritique, et non seulement critique tant il est vrai que l’on ne peut critiquer les pensées des autres que si l’on est capable de soumettre les siennes propres à son propre questionnement critique. On ne peut dire non aux apparences, aux dogmes, aux croyances ou aux autorités que si l’on n’est capable de dire non à ce qui, en soi, est dogme, croyance, répétition, imitation. L’autocritique est une condition de la critique des autres, car sans celle-là, celle-ci n'est que dénigrement et contestation gratuite!
Mais comment exercer cette autocritique ? Comment se mettre à distance de ses propres idées, de ses propres opinions et croyances ?
D’abord cultiver l’étonnement ; s’étonner soi-même de ses propres idées : « Comment puis-je penser cela ? » Puis douter de tout, radicalement, c'est-à-dire de la racine des choses et non seulement de leur apparence ? Et alors s’interroger, c'est-à-dire mettre en questions nos idées, opinions et croyances, c'est-à-dire remonter des réponses aux questions alors que tout nous pousse dans notre quotidien à chercher refuge dans les réponses, dans les croyances, dans les dogmes, dans les idées toutes faites.
Mais cette vigilance critique de l’esprit suffit-elle à la pensée ? çà en est la première étape, qui est souvent oubliée tant notre nature nous porte plutôt au conformisme et à l’obéissance. Notre premier mouvement est toujours de croire ce que l’on nous dit, par confort, par besoin de se sentir intégré dans un groupe. La mise en question de nos croyances est prise de risque, risque de l’exclusion, de la marginalisation, et demande donc un effort sur soi-même.
Mais en poussant cette exigence critique à l’extrême, ne risque t-on pas de sombrer dans le scepticisme ? Si mes idées sont toutes héritées des autres ou de mon passé, alors elles ne valent rien pour moi. Et donc si, plus généralement, tout est critiquable, alors rien ne vaut et donc tout se vaut. Dès lors puis-je me contenter de déblayer les pensées qui me viennent de l’extérieur pour laisser place nette ? Au risque du nihilisme.
La pensée ne doit-elle pas affirmer également que tout ne se vaut pas ? Car penser n’est ce pas aussi, dans un même mouvement que cette vigilance critique, juger, hiérarchiser, ordonner les idées et par conséquent ses propres idées ?
On ne peut penser qu’en interprétant, a-t-il été dit ce matin, qu’en relisant ce que nous avons dit par le langage. Ceci exprime que penser c’est aussi analyser, interpréter, les pensées comme résultats du processus de pensée lui-même. Penser consiste donc aussi à penser la pensée, c'est-à-dire à exercer analyser, à critiquer, le processus de sa propre pensée.
La pensée unit donc deux exigences contradictoires : l’exigence critique et l’exigence méta-critique.
Je vous renvoie à ce petit livre de Vincent Citot « Le paradoxe de la pensée » que j’ai cité ce matin, et qui propose un tour d'horizon de la pensée philosophique structurée autour de ces deux exigences qui définissent, selon l'auteur, la pensée. Je m'en suis inspiré ici (au risque de laisser penser que je ne pense pas par moi-même
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