Une décision qui dérange ? Si on se réfère à l'étymologie ce serait presque un pléonasme. Décision vient du latin decisio de de et caedere, détacher en coupant, trancher ... et couper ou trancher ça fait mal ... ça dérange donc. Mais ça dérange celui ou ceux qui sont l'objet de la décision, ceux qui la subissent, l'employé licencié par exemple qui subit la décision de l'employeur qui prend la décision de le licencier. Mais par contre la question d'oser prendre la décision, c'est à dire la question d'avoir le courage de trancher, et donc de déranger les autres, se pose quand à elle pour celui qui prend la décision. Et c'est bien du point de vue de ce rôle d'acteur de la décision que la question posée nous invitait a nous placer ce dimanche.
Dès lors pourquoi faudrait-il avoir du courage pour prendre une décision qui dérange ... les autres ? Le courage étant la vertu par laquelle nous affrontons le risque ou le danger, en quoi celui-ci est-il nécessaire dès lors que notre décision s'applique et donc dérange les autres et non nous-mêmes ?
Ou est alors le risque pour nous, ou est le danger que nous devons affronter ? Ce risque, semble t-il, vient des autres et de leur réaction suite au dérangement occasionné par notre décision, dérangement que les autres nous imputent comme conséquence de notre décision. Et c'est dès lors cette imputation qui est pour nous le danger que nous devons affronter. Entendre l'autre nous dire « ta décision me fait mal » peut être pour nous une souffrance morale et c'est donc le risque d'une telle souffrance que nous devons affronter lors de la prise de décision. C'est donc pour cela qu'il nous faut du courage, qu'il nous faut oser prendre une décision qui dérange.
Mais nous voyons dès lors que nous aurons à affronter ce risque seulement si la réaction de l'autre qui nous dit « ta décision me fait mal » est pour nous une souffrance, ou du moins un problème moral à affronter. Si, en effet nous ne nous soucions pas des réactions des autres suite aux conséquences de nos décisions alors il n'est nul besoin d'avoir du courage pour prendre les dites décisions. C'est notre préoccupation morale par rapport aux réactions des autres à notre égard, suite aux conséquences de nos décisions, qui nous oblige au courage. C'est le souci de l'autre qui nous amène à considérer, lorsque l'on prend une décision, le mal que celle-ci peut provoquer chez l'autre. C'est pour faire face à notre responsabilité dans le mal que nous faisons à l'autre que nous avons besoin de courage. C'est parce que nous sommes dérangés par le dérangement des autres suite à notre décision qu'il nous faut du courage pour prendre cette décision. Mais ne confondons pas le dérangement des autres et notre propre dérangement. En effet, alors que le dérangement des autres suite à notre décision correspond à un fait objectif, à un changement dans ses habitudes, à une rupture dans sa vie, à des risques et à des souffrances supplémentaires pour lui, le dérangement que l'on peut avoir suite à cette imputation de l'autre est quand à lui d'ordre purement moral, il dépend de la valeur que l'on attribue à l'autre.
Un bon décideur n'a pas d'état d'âme dit-on ! Ce qui ne veut pas dire qu'il ne prend pas en compte les réactions possibles des autres face à ses propres décisions, mais il les intègre comme un élément objectif dans sa prise de décision sans aucune considération morale.
Entre la position du décideur d'une part, qui avance sans se retourner, sans « état d'âme » ni « cas de conscience », sans souci des autres, et donc sans morale, et d'autre part la position de celui qui n'ose jamais prendre de décisions dès lors que celles-ci peuvent déranger les autres quel équilibre faut-il trouver ? Cet équilibre il faut sans doute aller le chercher entre, d'une part l'éthique de conviction qui nous pousse à agir et donc d'abord à décider en fonction de la valeur morale intrinsèque de nos décisions, et d'autre part, l'éthique de responsabilité qui nous pousse à mesurer et à prendre en compte les conséquences possibles de nos décisions. Nous pouvons ainsi être amené à prendre des décisions qui font mal à ceux a qui elle sont destinées mais dont l'action à plus long terme serait plus positive que celle qui résulterait d'une non décision. Le courage de prendre des décisions qui dérangent est donc toujours nécessaire .... il nous faudra toujours avoir a oser pour prendre une décision, oser affronter la réprobation morale de l'autre !