Être utile, c’est être profitable. On dit utile ce qui procure un gain, un bénéfice à quelqu’un ou quelque chose. L’utile est avantageux, il permet une amélioration. En ce sens littéralement tout peut être utile. Même si l’avantage apporté est minime, la chose qui l’apporte est “utile”.
Cependant rien n’est utile en soi, indépendamment d’un contexte ou d’un projet donné. Utile est un terme relatif : il ne prend sens que par rapport à autre chose, à une perspective plus générale dans laquelle il s’insère.
Quand on parle d’utilité, on se situe dans un rapport entre moyen et finalité. Est utile tout ce qui est un bon moyen de réaliser une fin. Parler d’utilité indépendamment d’une fin donnée n’a pas de sens.
On dit parfois “utile” ce qui est indispensable, nécessaire à la réalisation d’une fin. Ce qui est utile favorise l’accomplissement d’un projet. Il le rend plus facile, moins contraignant. Si l’on enlève la chose utile, le projet continue d’être réalisable. Il se déroule dans de moins bonnes conditions, mais il n’est pas arrêté pour autant.
Ce qui est nécessaire est indispensable à l’accomplissement d’un projet. Si l’élément nécessaire manque, le projet ne peut plus avancer. Il n’est plus réalisable, parce qu’un de ses éléments fondamentaux est absent. Le nécessaire n’est donc pas équivalent à l’utile.
La confusion semble venir d’un glissement à partir de l’idée d’inutilité. Ce qui est inutile, on peut s’en passer : cela ne correspond à aucun besoin. Être inutile, c’est à la fois ne pas être utile… et ne pas être nécessaire. De là un glissement : on oppose l’inutile au nécessaire… puis on assimile le nécessaire à l’utile.
Etre utile fut aussi une rupture historique et progressiste prônant l'abandon de toute idée de droit naturel et de toute métaphysique englobante, aucune autorité suprême ne peut décréter ce qui est juste ou bon. Cette réflexion date du XVIIIe siècle. Etre utile est qualifié d’eudémonisme, posant comme principe que le bonheur est le but de la vie humaine. Le bonheur n'est pas perçu comme opposé à la raison, il en est la finalité naturelle.
Dans le chapitre I de An introduction to the Principles of Morals and Legislation Jeremy Bentham expose le concept d'utilité : « principe qui approuve ou désapprouve toute action en accord avec la tendance à augmenter ou à diminuer le bonheur de la partie dont l'intérêt est en question. » Le principe d'utilité peut s'articuler autour des termes du bonheur Happiness Principle en anglais, mais aussi du bien-être physique et matériel, moral ou intellectuel.
Bien sur ce point de vue ne réduit pas l’idée d’utilité à son sens courant de moyen en vue d’une fin immédiate donnée.
Ainsi la réalité d’un acte est jugé en fonction de ses effets, non des motifs qui le sous-tendent. Vision qui s’oppose au point de vue kantien pensant aussi l'action dans son caractère pragmatique et utile, mais non selon ses effets mais en rapport à leur conformité avec l'impératif de la raison.
Comme la plupart des notions fondamentales, le principe d'utilité a reçu divers noms à travers l'histoire. À l'époque romaine, on parlait du principe de l'utilitas publica ou utilitas communis. L'habitude de se servir du mot « utilité » pour désigner le bonheur et le bien-être vient ainsi du latin et de la philosophie du droit des Romains.
David Hume écrit : « Nous devons chercher les règles qui sont, dans l'ensemble, les plus utiles et les plus bénéfiques. Le point ultime vers lequel ces règles doivent toutes tendre, c'est l'intérêt et le bonheur de la société. Même dans la vie de tous les jours, nous avons recours constamment au principe d'utilité publique » « Enquête sur les principes de la morale », 1751.
Jeremy Bentham, qui dit avoir rencontré l'expression pour la première fois chez Hume, l'appelle simplement « principe d'utilité » : « Sous l'appellation de principe d'utilité, nous avançons le principe du plus grand bonheur en tant que critère du bien et du mal en matière de morale en général et de gouvernement en particulier » A Fragment on Government, 1776.
Emmanuel Kant (1724-1804), qui rejette totalement la doctrine, l'appelle « principe du bonheur » : « Les épicuriens avaient admis, pour principe suprême des mœurs, un principe tout à fait faux, celui du bonheur » « Critique de la raison pratique, 1788.
John Stuart Mill explique qu'il a été « le premier à mettre en circulation le mot utilitarisme », titre à l'un de ses ouvrages les plus célèbres L'Utilitarisme, écrit en 1861.
Le principe d'utilité est donc une notion ancienne. Comme l’écrit John Stuart Mill dans son Essai sur Bentham écrit en1838 : « À toutes les époques de la philosophie, une de ses écoles a été utilitariste – non seulement depuis Épicure, mais bien avant ». L'erreur pourtant fréquente est d'en attribuer la paternité à Jeremy Bentham ou de présenter ce dernier comme le « grand philosophe » de l'utilitarisme.