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 le lien est-il un lieu?

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2 participants
AuteurMessage
Bernard




Nombre de messages : 301
Age : 70
Date d'inscription : 08/06/2007

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MessageSujet: Re: le lien est-il un lieu?   le lien est-il un lieu? Empty9/11/2020, 23:37

Intéressante contribution !
Ainsi c'est le lien entre nous qui fait le lieu. On peut même dire que c'est le nous qui EST le lieu. Ainsi il n'y a pas de lieu (d'endroit) s'il n'existe pas de nous pour l'habiter, car alors il n'y a que de l'espace indifférencié. Pour les nomades c'est aussi le nous et ses règles de respect des frontières (des limites), qui est le lieu. Mais avec le numérique ne sommes-nous pas ainsi redevenu nomades, avec nos règles de participation ou d'inscription, à une réunion zoom, à une page facebook, à un forum, à un un site; règles qui font un nous et donc un lieu. Ainsi entre le lien et le lieu il y a l'intermédiaire du nous, construit par les liens que chacun y tisse (visite dans un endroit physique, un café ... ou connexion ou post dans une réunion zoom, ou sur une page facebook ou autre.  Le schéma et la logique est la même pour le physique comme pour le numérique .... mais néanmoins nos réflexions sur la perte du sensible, de la présence, de la permanence, lorsque nous passons du physique au numérique, n'en garde pas moins leur pertinence. Le nous d'un lieu physique sera, me semble t-il, toujours plus fort que le nous d'un lieu numérique. Le numérique favorise plus l'individualisme, là où le physique favorise le collectif.
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fellion




Nombre de messages : 40
Date d'inscription : 05/04/2020

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MessageSujet: le lien est-il un lieu?   le lien est-il un lieu? Empty9/11/2020, 18:10

«Loin des yeux, loin du cœur. » Le proverbe affirme que les liens se distendent, voire se rompent, à partir du moment où n’est pas partagée l’occupation, sinon continue du moins régulière, d’un même lieu. Par là, il insinue qu’il y aurait entre le lieu et le lien quelque chose comme une relation de cause à effet : que le lieu ferait le lien. Cela ne se vérifie-t-il pas dans le cas, par exemple, des relations de voisinage ?

Dans un domaine auquel on ne pense guère quand on aborde une question par le biais de la psychologie ou des relations affectives : celui du droit et, plus généralement, celui de notre existence politique, ce qu’on appelle le droit du sol dans les pays dont les peuples le pratiquent, comme font les Français, semble confirmer ce qu’insinue le proverbe. Puisque le seul fait de naître sur le sol français suffirait à faire de moi un concitoyen des autres personnes nées sur le même sol, c’est bien le lieu qui ferait le lien, politique en l’occurrence.

L’absence écrit le dictionnaire Petit Robert, « le fait de n’être pas dans un lieu où l’on pourrait, où l’on devrait être », c’est d’abord, en effet, le fait que tu n’es pas ici, avec moi, ni là, où je sais que je peux te trouver. Où donc es-tu ? De ce que tu n’es ni ici ni là, je t’ai perdu. Peut-être es-tu là-bas.. Autant dire nulle part.

La question est intéressante. Cela mène à s’interroger plus avant sur ce qui pourtant nous paraît aller de soi : qu’est-ce qu’un lieu ? Une « portion déterminée de l’espace », écrivent d’entrée le Petit Robert et le Petit Larousse, qui renvoient à un autre mot : « endroit », à la semblable définition. C’est apporter une suggestive distinction entre le lieu (un café), déterminé, et l’espace (le WEB devenu aujourd'hui internet), qui est donc indéterminé. Déterminé, fort bien, mais par quelle opération de quel opérateur ?

On commence alors de subodorer que le prétendu « droit du sol » pourrait être mal nommé. Quel sol ? Pas n’importe lequel, assurément : ce sol-ci. Mais alors, ce lieu déterminé, par quelle opération de quel opérateur a-t-il été déterminé ? S’il y a quelque chose à l’origine de l’appartenance à la communauté civique, c’est d’abord, bien plutôt que le sol lui-même, le geste qui a rendu visible ce sol-ci sur le fond indéterminé de l’espace et qui par là crée la condition de possibilité de cet invisible qu’est l’appartenance. Ainsi rex, le roi, à l’aide de sa règle, trace les limites du regimen, le royaume, au sein duquel, inscrits sur le registre à leur naissance, vivent ceux qu’il reconnaît comme ses sujets. A l’origine de l’appartenance, il y a donc ensuite l’inscription sur le registre, autre geste qui rend visible la qualité de sujets de ceux dont les noms sont inscrits. Enfin, naître à l’intérieur des limites ainsi définies entraîne ipso facto l’inscription sur le registre. Le sol n’a pas grand-chose à voir là. Et si la République a pu reprendre, sans l’amender, cette institution de l’Ancien Régime, ce n’est pas parce que le sol serait demeuré inchangé – on sait combien baladeuses peuvent être les frontières au cours de l’histoire quelles que soient les caractéristiques physiques du sol, mais parce que tout en substituant la volonté du peuple souverain, la Constitution, à la volonté royale, elle continue de définir les frontières – comme le fait tout peuple –, elle continue de tenir les registres de ceux qu’elle reconnaît comme ses sujets, ce registre compte le peuple devient une information numérique – comme le font la plupart des peuples pratiquant l’écriture –, et elle a décidé de continuer à affirmer que naître à l’intérieur des frontières par elle définies entraîne ipso facto l’inscription sur le registre dit aujourd’hui d’état civil. A l’origine de l’appartenance politique, il y a donc non pas le lieu, mais le lien que le souverain, royal ou populaire, établit avec un certain nombre de gens en les reconnaissant comme ses sujets, moyennant certaines procédures convenues, lien qui n'a pas d'existence matérielle .

Si ce n’est pas le lieu qui fait le lien, serait-ce le lien qui ferait le lieu ?
Faut-il retourner la proposition initiale et n’y voir plus qu’une illusion ? Ou encore, comme peut-être le font augurer tous les liens dont on nous dit aujourd’hui qu’ils se tissent hors de tout lieu par le jeu des moyens de communication, le rapport entre le lien et le lieu ne serait-il qu’un moment, en voie d’obsolescence, de l’histoire des relations humaines ?

Les liens font des lieux

Aux marges du monde : dans certaines régions désertiques d’Afrique et d’Asie ou dans le fond de certaines forêts d’Afrique et d’Amérique du Sud, quelques rares peuples pratiquent le nomadisme. Le nomadisme se pratique toujours à l’intérieur de certaines limites bien déterminées : dans le respect du territoire de nomadisme des autres.
C’est un premier point par lequel les nomades nous montrent que c’est le lien qui dessine le lieu. Ce lien consiste à respecter le territoire du groupe auquel nous n’appartenons pas, notons que cela n’a rien de propre aux nomades puisqu’il en va de même pour les modernes frontières nationales.

Un second point par lequel les nomades nous montrent que c’est le lien qui dessine le lieu tient au nomadisme à proprement parler. Il s’agit du déplacement de ce que nous aurions tendance à appeler leur « maison », ou leur « village ». Pour les sédentaires, en effet, ce que nous disons « chez moi » se confond, dans nos façons de parler – « rentrer chez moi » revient à « rentrer à la maison », ou « au pays », ou « dans mon quartier », ou « dans ma cité », etc., qui chez le notaire ou le percepteur, vaut aussi pour le sol – indique que cela ne se déplace pas, que cela est non seulement ancré en un endroit immuable mais identifié à cet endroit. Pour le nomade, en revanche, « chez moi » n’est aucun endroit immuable mais, par définition, « chez nous » : où résident pour le moment les autres membres de la famille, du clan, du peuple. Ce qui fait que cet endroit est momentanément le lieu où je suis, c’est qu’il est le lieu où nous sommes ensemble.

Ce lieu porte un nom : « ici ». Sans doute les linguistes ont-ils raison quand ils disent que « ici » est, en toute rigueur, le lieu où se trouve l’instance de langage qui dit « je », dite sujet par la grammaire, à partir de laquelle, quand je prends la parole, se structure le monde pour mes auditeurs en un devant, un derrière, un à côté, un en haut, etc. Ici est où je suis. Mais, si je ne suis ici que parce que nous y sommes, ici est où nous sommes, où sont tous ceux et toutes celles auxquels je suis lié et qui me sont liés. C’est la qualité du lien qui nous unit qui fait l’ici.

En face d’ici, il y a un autre lieu : « là ». Là, disent encore les linguistes, c’est, en toute rigueur, où tu te tiens en face de moi, toi à qui j’adresse la parole et qui, à ton tour, quand tu prendras la parole, deviendras « je », sujet par conséquent toi aussi. Là est où tu es. Mais, si je ne suis ici que parce que nous y sommes, cela vaut aussi pour toi, quand tu es dans un autre ici que le mien : tu n’y es que parce que d’autres y sont avec toi, que parce que vous y êtes. Il convient donc ici aussi d’élargir la définition des linguistes : là est où vous êtes, où sont tous ceux et toutes celles auxquels nous sommes liés et qui nous sont liés.

Et au-delà ? Eh bien, au-delà, on trouve la confirmation a contrario que c’est le lien qui fait le lieu. Qui n’est ni ici ni là, où donc est-il ? Qui n’est ni l’un de nous ni l’un de vous, qui donc est-il ? « Il », justement, dont les linguistes disent que, même s’il est grammaticalement sujet de la proposition, il n’est aucun sujet qui prenne la parole dans la conversation puisque tout être humain qu’il soit peut-être, il en est l’objet : « il », qu’il soit ou non doué de la parole, c’est ce dont toi et moi, vous et nous, nous parlons. On comprend alors où il est : dans la conversation, au même titre que "Méduse" ou "le nectar", ces chimères qui n’ont d’autre existence que celle que leur confère la conversation. En aucun lieu déterminé, nulle part : là-bas, dans cet espace dont les dictionnaires nous ont signalé qu’il est indéterminé, un non-lieu ; comment être assuré qu’il existe vraiment, qu’il n’est pas vaine élucubration ? Chacun de nous a fait un jour cette expérience, pointée avec une étonnante sagacité par le langage courant : « ne pas savoir où se mettre », quand "il" était l’objet d’une conversation sans qu’on l’appelât à prendre la parole et à en devenir sujet, si nous éprouvons alors ce sentiment, c’est que précisément nous sommes nulle part. Ce qui fait le non-lieu, le là-bas, c’est l’absence de lien : l’absence d’inscription dans l’échange ; dans le cas évoqué, l’absence d’inscription dans l’échange des paroles, et donc la négation comme sujet. L’endroit ne fait rien à l’affaire.

Si c’est le lien entre nous qui fait l’ici, le lien entre vous et nous qui fait le là, encore faut-il que cet ici et ce là, ces lieux déterminés, soient visibles, d’une façon ou d’une autre. Ils ne sont pas le lien ni ne le font, mais ils sont ce qui le rend présent.

Pourquoi aujourd’hui un site internet n’en ferait-il pas office ? –, comment, si je t’appelle, pourrais-tu m’adresser une réponse, venir à ma rencontre, comment pourrais-je te recevoir ? Comment pourrais-tu m’appeler, t’adresser à moi, m’intimer de te répondre, me rendre visite ? La question n’est pas d’être ou non à portée de regard mais à portée d’appel. Le lieu ne fait rien à l’affaire : il est tout aussi possible d’être près des yeux et loin du cœur que près du cœur et loin des yeux.
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