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 Peut-on souffrir des tragédies vécues par nos ancêtres?

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fellion




Nombre de messages : 40
Date d'inscription : 05/04/2020

Peut-on souffrir des tragédies vécues par nos ancêtres? Empty
MessageSujet: Peut-on souffrir des tragédies vécues par nos ancêtres?   Peut-on souffrir des tragédies vécues par nos ancêtres? Empty21/6/2020, 20:25

Le sujet du jour fut; "Peut-on souffrir des tragédies vécues par nos ancêtres?" Question simple deux réponses possibles, oui ou non suivit éventuellement d’une explication. Facile.  Mais qu’infère cette question? Sur quoi interroge-t-elle?

Avant, parlons de son origine. Cette question est le titre d’une conférence donnée au Palais de la découverte, citée des sciences et de l’industrie, en 2016 par Isabelle Mansuy neurogénéticienne à l’université de Zurich. Dans le cadre d’une série de conférences « traumatisme en héritage. » Point de philosophe invité, mais des scientifiques.

Comment le cerveau influence-t-il le comportement ? Les spermatozoïdes peuvent-ils être modifiés par l'environnement et transmettre certains caractères acquis à travers les générations ?
Traumatismes en héritage : quels sont les effets de l’environnement et de la culture sur les mécanismes biologiques, en particulier au niveau du cerveau ? Comment ceux-ci peuvent-ils influencer le comportement ? Comment les cellules germinales mâles, c’est-à-dire les cellules de sperme, peuvent-elles être modifiées par l’environnement de façon à transmettre certains caractères acquis à travers les générations ? Chacun de nous est déterminé par nos gènes, on hérite d’un set de gènes paternels et maternels (…), en réalité nous sommes plus que nos gènes, nous sommes une combinaison de gènes qui sont influencés par des facteurs environnementaux, et ils sont nombreux : notre vie, notre comportement, notre physiologie…

1heure de conférence très complexe pour ceux qui sont très éloignés de la biologie.

Si la science tente de rendre, comment la philosophie peut-elle s’interroger sur cette question ?

La souffrance « ce que l’on  peut supporter » est un sujet 1000 fois traité, la définition du mot peut suffire pour une première approche.

Le mot de tragédie est intéressant en ce sens ou le mot est grec, langue de la philosophie par excellence, τραγῳδία, désignant un genre théâtral (littéralement le chant du bouc). Aristote affirme dans sa Poétique que la tragédie est d’origine satirique et légère. La tragédie touche donc le public par φόβος και έλεος, la terreur et la pitié qu’elle fait naître. Cela en fait un genre à portée édifiante. Pour Aristote, la tragédie a une vocation didactique, c’est-à-dire qu’elle vise à enseigner une vérité morale ou métaphysique au public. C'est la catharsis, grâce à laquelle l’âme du spectateur serait purifiée de ses passions excessives. Ainsi on pourrait penser que la tragédie de nos pères servait à l’édification de leurs enfants.
Le dernier vocable a son importance, ancêtre. Importance due à sa polysémie, ou du moins à ses légères variations de sens. antecessor, antecessoris, de antecedere est ce qui nous précède. Le sens qui vient à l’esprit est: celui de qui l’on descend; père, mère; père du père, mère de la mère, les générations, la filiation. Le πρόγονος grec, אָב קַדמוֹן hébreux. L’anthropologie nous dit à propos de ancêtre; tous ceux qui nous ont devancés, encore que nous ne soyons pas de leur ethnie. Par analogie ce qui nous a précédés dans l’histoire.

Les mots ne suffisent pas, ils aident. Comment lier une tragédie ancestrale avec une génération qui ne la pas vécue. Vient à l’esprit une des premières occurrences de ce problème, la condamnation des enfants pour une faute des parents se lit dans un vieux texte.

Livre de Job 21.19

אֱלוֹהַּ יִצְפֹּן־לְבָנָיו אוֹנוֹ יְשַׁלֵּם אֵלָיו וְיֵדָע
ἐκλίποι υἱοὺς τὰ ὑπάρχοντα αὐτοῦ ἀνταποδώσει πρὸς αὐτὸν καὶ γνώσεται
Dieu réserve aux fils le châtiment (du père) ; c’est lui qu’il devrait punir, pour qu’il ressente (sa faute)

Esaï 14.21

הָכִינוּ לְבָנָיו מַטְבֵּחַ בַּעֲוֹן אֲבוֹתָם בַּל־יָקֻמוּ וְיָרְשׁוּ אָרֶץ וּמָלְאוּ פְנֵי־תֵבֵל עָרִים
ἑτοίμασον τὰ τέκνα σου σφαγῆναι ταῖς ἁμαρτίαις τοῦ πατρός σου ἵνα μὴ ἀναστῶσιν καὶ τὴν γῆν κληρονομήσωσιν καὶ ἐμπλήσωσι τὴν γῆν πόλεων
Préparez le carnage pour ses fils, pour le crime de leurs pères ; qu’ils ne se relèvent plus pour s’emparer du pays, et remplir de leurs villes la terre.

Ainsi 24 versets traitent du massacre des fils pour les fautes des pères.

Ces sources ancestrales seraient-elles ancrées si fort que nous n’aurions su nous en débarrasser?

Ces textes lus sans analyse conduisent à une croyance selon laquelle, beaucoup de nos problèmes, malheurs, difficultés, malédictions, proviennent de nos ancêtres, parents…, à cause d’une ancienne faute entendue comme tragique.
Les passages utilisés pour justifier une telle idée se trouvent dans la bible hébraïque
S’il fallait prendre ce passage à la lettre aujourd’hui, cela voudrait dire que si quelqu’un est « victime » d’un malheur lié à une malédiction générationnelle, alors en toute logique et justice, tous ses frères et soeurs devraient être dans le même cas…
Plus important encore, et cela pose la question philosophique par excellence, la prédétermination.

Pourtant si le texte est lu avec attention nous pouvons lire en,
Jérémie 31.29

בַּיָּמִים הָהֵם לֹא־יֹאמְרוּ עוֹד אָבוֹת אָכְלוּ בֹסֶר וְשִׁנֵּי בָנִים תִּקְהֶינָה
En ce temps, on ne dira plus : Les pères ont mangé le raisin vert, et les dents des enfants (en) ont été agacées

Il est dit plus loin dans le texte que ce principe ne sera plus utilisé, et que chacun paiera pour ses propres fautes. Plus question de dire que les parents ont fait des choses, et que les enfants ont été punis.

Dans ce passage, il est donc écrit, dans une image, qu’on ne dira plus jamais que les dents des enfants ont été abîmées parce que les pères ont mangé des raisins verts (image disant qu’on ne dira plus jamais que les enfants paient pour les fautes des parents).
Il est clairement dit que chacun mourra pour sa propre faute, donc, rien à voir avec les fautes des parents.
De plus, ce verset n’est pas du tout isolé, car pour ceux qui veulent douter encore.
Ezechiel reprend exactement la même idée en 18.2:
מַה־לָּכֶם אַתֶּם מֹשְׁלִים אֶת־הַמָּשָׁל הַזֶּה עַל־אַדְמַת יִשְׂרָאֵל לֵאמֹר אָבוֹת יֹאכְלוּ בֹסֶר וְשִׁנֵּי הַבָּנִים תִקְהֶינָה
Pourquoi usez-vous de ce proverbe sur la terre d’Israël, en disant : les pères ont mangé le raisin vert, et les dents des fils seront émoussées ?

Paul reprendra en grec les mêmes arguments
Corinthiens 5.17; les choses anciennes sont passées; voici, toutes choses sont devenues nouvelles.

Devenons-nous perpétuellement rechercher la cause de souffrances à travers les autres, nos ancêtres en particulier.

Le problème qui vient ainsi à l’esprit et celui de la détermination ou de la prédétermination. C’est sans doute là un des problèmes majeurs de la philosophie, la prééminence du sujet sur le prédicat.

La philosophie devrait s’intéresser au tragique passé qui resurgit dans le présent, qui fait événement. Dans la pensée indienne il y a un intérêt pour l’événement, pour ce qui n’est pas localisable, spatialement et temporellement, l’idée d’une indétermination. Voir la pensée védique  qui n’a pas la logique prédicative que nous avons héritée de la pensée grecque, une pensée, une logique qui suppose un sujet cernable qui rattache des propriétés à quelque chose de subsistant.
Il faudrait à l’image du philosophe japonais Kitarō Nishida renversé les choses, le sujet doit s’expliquer à partir du prédicat, c’est à dire des qualités. Le sujet n’est pas ce qui peut être cerné à l’avance et qui serait le fondement. Vient donc une idée fondamentale dans la pensée orientale, l’idée de l’impermanence de toutes choses, alors que l’ontologie grecque est une ontologie de la substance. L’être déjà la permanent du sujet qui subit.
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