Ma "responsabilité vis-à-vis du monde" n'est pas infinie, comme le dit Levinas vis-à-vis de "l’autre", mais commence pour moi, au niveau le plus basique, par le devoir de ne pas être indifférent au monde. Dans l’Allemagne nazie, ce n’est pas la haine mais l’indifférence du plus grand nombre au sort des juifs qui a permis les persécutions et la solution finale.
Reste à savoir à quelle échelle du monde et pour quels types de problèmes je peux exercer une responsabilité. Mon empathie pour les victimes d’une catastrophe lointaine ne doit pas laisser celles-ci indifférentes… et tant mieux car je ne peux pas faire grand-chose de plus. Mais, à l’échelle de mon quartier, où je pourrais agir concrètement, vais-je accueillir chez moi un SDF ? Dans un Etat-providence et une société moderne urbanisée, cette solidarité de proximité n’est plus coutumière mais politisée et institutionnalisée.
Dans tous les cas, il me paraît difficile de me sentir "responsable" sans me sentir coupable, même si les deux mots ne sont pas synonymes. Ce sujet est bien caractéristique d’une société individualiste, très moralisante voire puritaine (protestante), où l’idéologie néolibérale entend réduire et même supprimer la dimension collective de l'action (responsabilité politique) pour faire porter tous les fardeaux de la "condition humaine" à l'individu.