Pas trop éloigné de l’interrogation domincale et matinale.
Il y a ce qui se voit et il y a ce qui ne se voit pas, il y a ce que nous masquons et ce que nous acceptons de montrer de nous même, de nos failles et de nos difficultés à vivre. Il y a l’extérieur et l’intérieur, le dehors et ses représentations visibles, le dedans et son lieu de recueillement invisible. Ainsi vu de l’extérieur, un humain produit dans sa vie 950 kilomètres de cheveux, et ce qui se voient ces dernières semaines c’est que nos cheveux et nos poils ont non seulement poussé plus vite et plus long que d’habitude, mais les repousses trahissent l’âge de ceux qui les portent. L’hypertrichose est de l’ordre du visible, elle est, comme nos rides et nos ridules, le témoin apparent du temps qui a passé sur le calendrier. Du temps de Périclès alors que sévissait la peste d’Athènes qui allait l’emporter, l’excès de poil outrageait gravement un modèle esthétique en même temps qu’une conception de la vie humaine. C’est pourquoi les coiffeurs, les barbiers et les épilateurs appartenaient, en ces temps, à la classe de métiers essentiels. Parce que la culture grecque se voulait haute en humanité, parce qu’elle entendait exprimer, pour la faire valoir, une rupture et un éloignement par rapport à l’animalité, les hommes et les femmes, devaient nécessairement être glabres, ce dont atteste, notamment le détail des Kouroï et des Korai, sur les frises du Parthénon et partout ailleurs sur la statuaire grecque. Mais les cheveux, les rides et les poils sont de l’ordre de l’apparence, que ne saurait altérer la vie invisible du « dedans ».
Certains adeptes du dedans se sont délibérément choisi une vie intérieure. C’est le cas de Proust, on le sait, qui avait adopté une vie auto-confinée dans sa chambre, Beethoven qui était reclus dans sa surdité, Zelda Fitzgerald, Virginia Woolf, Camille Claudel qui étaient enfermées dans leur chagrin ou leur folie alors qu’Héloïse et la Princesse de Clèves se sont retirées volontairement dans un couvent, pour ne pas avoir à mourir d’amour fou. Il en résulte que les grandes œuvres, qui résistent au temps, ont été inséparables du risque pris à faire le choix de l’intériorité.
Dans sa lettre au général X, Saint Exupéry déclarait qu’il fallait « absolument parler aux hommes ». Il fallait implorait-il, que le monde rende aux hommes une signification spirituelle » et fasse « pleuvoir su eux quelque chose, insistait-il, qui ressemble à du chant grégorien ».
Peu importe les repousses de cheveux blancs ou de poils à couper. Il disait : « on nous a coupé les bras et les jambes, puis on nous a laissés libre de marcher ». « Mais je hais cette époque, où l’homme devient, sous un totalitarisme universel, bétail doux, poli et tranquille ». C’est que le soin que nous accordons à la vie intérieure et peut être la source d’une révolution, de bouleversements, de foyers de résistance qui laissent entendre à quel point nous sommes libres. Le 11 juillet dans un discours célèbre l’écrivain Paul Gadenne, invitait, lui aussi, les hommes à ne pas perdre le sens de l’intérieur, alors que la plupart d’entre nous vit mobilisés, incapables de suspendre nos gestes et toujours happés par le remuement perpétuel. « Le monde appartient à qui sait se tenir immobile », osait dire Gadenne. A l’appui de son invitation au silence et à la résistance intérieure, il évoquait la correspondance de Dostoïevski évoquant ses années de prison, a résumé en une phrase adressée à son frère, ce que ces quatre années de réclusion et de privation lui avaient suggéré : « Frère, il y a beaucoup d’âmes nobles dans le monde. »