L’enfer est-ce les autres ? Sujet traité au Café Philo Bastille le 4 mai 2014
Tentative de synthèse du débat.
Nous sommes partis du constat que, d’une part, les autres sont une gêne pour soi, ils placent des limites à notre liberté ou à notre tranquillité, mais, d’autre part, c’est grâce au regard des autres que nous nous connaissons, que nous nous construisons, donc que nous devenons libres.
La première idée fut émise pour réfuter la thèse, trop négative, selon laquelle « l’enfer c’est les autres ». Si les autres peuvent, en effet, nous causer des désagréments, ceux-ci ne peuvent être dissociés des agréments que les autres nos apportent aussi. Les autres ne peuvent être vus que dans leur intégralité, avec leurs regards négatifs comme leurs regards positifs sur nous-mêmes.
C’est en effet, non seulement les désagréments physiques, mais aussi le regard, et donc le jugement des autres, qui nous fait peur, qui nous enferme. Vivre l’enfer ou non, dépend alors de l’interprétation que nous faisons du regard des autres. Pour éviter de vivre l’enfer il nous faut alors considérer l’autre comme un autre moi-même, et non comme un étranger duquel nous aurions peur, et qu’il nous faudrait tenir à l’écart. C’est pourtant souvent cette tentation qui s’exprime souvent, dans les relations sociales et dans la politique internationale.
Si l’enfer n’est pas les autres, alors n’est-ce pas en soi-même qu’il se trouve ? N’est-ce pas notre intolérance aux désagréments que les autres peuvent nous causer, qui est elle-même un enfer, pour les autres et pour nous-mêmes, en instaurant des relations viciées entre nous-mêmes et les autres.
N’est-ce pas la jouissance de l’autre qui nous gêne, plus que le désagrément qu’il nous cause directement ? Nous refusons ainsi chez les autres ce que nous voudrions faire nous-mêmes. C’est notre désir de transgression que nous refoulons en considérant que l’autre nous crée un enfer.
Mais, dire que l’enfer c’est moi, ne suppose t-il pas que l’on ait le choix, la capacité de refuser, de réagir, ou de fuir la situation pénible que les autres nous font ?
Ainsi, si l’on adopte un point de vue sociologique, on peut dire que, face à une situation extrême, qui touche notre existence sociale elle-même, la vie peut devenir un enfer. Ainsi l’enfer peut venir des autres si nous n’avons pas les ressources (argent, relations, aides sociales ….) qui nous permettent de faire face à ces situations extrêmes.
Par ailleurs on peut dire que l’enfer ce n’est ni les autres, ni nous-mêmes, mais relève de la façon dont on perçoit les actions des autres à notre égard. L’enfer dépend ainsi de notre état psychologique. Si l’on est seul, on ressentira plus facilement de façon négative toute action des autres qui vient interférer avec notre liberté de mouvement. A l’inverse si l’on est fort psychiquement, alors on saura s’échapper de situations qui nous enferment, par la fuite, par la somatisation ou par l’agression.
Mais, en définitive, ne nous faut-il pas vivre l’enfer à un degré ou à un autre, pour se construire, pour devenir libre ? Le regard des autres nous permet de nous libérer de nos contraintes, de progresser, mais pour cela ne doit-il pas nous faire vivre de petits enfers au quotidiens. Ressentir ces petits enfers que sont les désagréments et les contraintes que les autres peuvent nous imposer, ne nous permet-il pas de nous élever en dépassant nos émotions primaires. Toute notre existence n’est-elle pas dérangement ? Et l’enfer, à l’inverse, ne peut-il pas être perçu comme l’absence des autres et donc l’absence de contraintes ?
Ainsi est apparue l’idée, plusieurs fois dans le débat, selon laquelle, ce ne sont pas les autres en tant que tels, ni nous–mêmes, qui sommes un enfer pour nous-mêmes, mais ce sont nos relations avec les autres qui peuvent créer un enfer, mais elles ne le crée pas nécessairement. Et c’est d’ailleurs bien sur la qualité de nos relations avec les autres, que Sartre insiste lorsqu’il commente sa propre phrase dans le texte ci-dessous :
« Mais « l'enfer c'est les autres » a été toujours mal compris. On a cru que je voulais dire par là que nos rapports avec les autres étaient toujours empoisonnés, que c'était toujours des rapports infernaux. Or, c'est tout autre chose que je veux dire. Je veux dire que si les rapports avec autrui sont tordus, viciés, alors l'autre ne peut être que l'enfer. Pourquoi ? Parce que les autres sont, au fond, ce qu'il y a de plus important en nous-mêmes, pour notre propre connaissance de nous-mêmes. Quand nous pensons sur nous, quand nous essayons de nous connaître, au fond nous usons des connaissances que les autres ont déjà sur nous, nous nous jugeons avec les moyens que les autres ont, nous ont donné, de nous juger. Quoi que je dise sur moi, toujours le jugement d'autrui entre dedans. Quoi que je sente de moi, le jugement d'autrui entre dedans. Ce qui veut dire que, si mes rapports sont mauvais, je me mets dans la totale dépendance d'autrui et alors, en effet, je suis en enfer. Et il existe une quantité de gens dans le monde qui sont en enfer parce qu'ils dépendent trop du jugement d'autrui. Mais cela ne veut nullement dire qu'on ne puisse avoir d'autres rapports avec les autres, ça marque simplement l'importance capitale de tous les autres pour chacun de nous. »