6) La maïeutique J’aime assez parler du Philosophe-Praticien, comme d’un artisan de la philosophie qui a forgé ses propres outils, pour faciliter l’enquête philosophique tels que la déduction, l’induction, la différenciation conceptuelle, la dialectique, l’étymologie… Le contenu de cette boite à outils et son utilisation ne rentrent pas dans le cadre de cet article. Il nous faut toutefois dire quelques mots de la maïeutique, utilisée pour faire accoucher les participants de leur propre connaissance intérieure.
L’utilisation de cet outil est délicat, parce que la technique du questionnement peut être ressentie de manière coercitive par certains d’entre nous.
Il est évident, que personne n’aime être mis en face de ses propres contradictions, s’il y en a, et être acculé dans ses propres retranchements. Il faut comprendre, que c’est à partir de là que le travail commence et qu’il peut nous amener à dire des choses auxquelles nous n’aurions même pas pensé en temps ordinaires.
L’animateur nous interroge, tout d’abord, parce qu’il n’est pas censé nous comprendre du premier coup. Il tente ensuite de se placer dans un état d’ignorance. C’est parce qu’il ne sait rien, qu’il est étonné. Cet état favorable à l’étonnement, lui permet de faire surgir les problèmes que posent certains discours, communément admis par tous, au mépris de toute « logique ». Ce type de pensée toute faite ne manque pas dans notre société travaillée par la propagande. L’état d’esprit de l’animateur lui permet également, de repérer dans le discours du participant la petite touche de génie, susceptible de faire progresser l’enquête et qui échappe parfois à son auteur.
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Si l’animateur nous interroge, c’est également parce que notre parole a du poids. Nous en sommes responsables et nous devons être capables d’en rendre compte. Les idées qui nous habitent ne sont pas anodines. C’est par les idées, que l’homme se détruit le plus et c’est aussi par elles qu’il progresse.
Il y a bien sûr des résistances qui sont émises face à cette technique de questionnement. La première de ces résistances provient du caractère sacré que nous conférons à nos propos. Nous ne supportons pas qu’une question puisse mettre en cause les idées auxquelles nous croyons. Nous ne supportons pas non plus d’être remis en question devant les autres. La seule manière de palier à cet inconvénient, c’est la transformation de nos croyances en hypothèses de travail et la constitution d’une véritable communauté de recherche animée par l’esprit d’enquête et fondée sur l’amitié.
Le terme grec Philia (amitié) qui compose le mot philosophie n’est pas là par hasard. Il n’indique pas qu’il faille seulement aimer la « sagesse ». C’est Pythagore qui a créer le mot philosophos (philosophe). Dans les communautés pythagoricienne les membres étaient réputés pour l’amitié qu’ils avaient les uns pour les autres. On ne peut aimer la « sagesse », sans aimer l’Humanité.
C’est cet état d’esprit qu’il faut tenter de promouvoir dans nos débats et c’est lui qui limite les résistances inopportunes.
Quoiqu‘il en soit, cette technique de questionnement n’est pas utilisée de manière systématique. Elle est toujours utilisée avec bienveillance et les participants ne sont jamais obligés de s’y soumettre.
IV La conceptualisation 1) Simplicité et concision de l’espritA l’origine, les philosophes grecs n’étaient pas dans un sur inflation conceptuelle et intellectuelle. La juste mesure et la sobriété encadraient leur créativité. Toute leur réflexion devait pouvoir se résumer en une formule, voire, un concept. Aujourd’hui, la philosophie occidentale est perdue dans une sur inflation intellectuelle et conceptuelle. C’est cette sur inflation qui a justement rendu la philosophie impopulaire. La complexité n’est pas la complication et la simplicité n’est pas le simplisme.
Quelqu’un m’a dit un jour, que la pensée de Hegel pouvait se résumer sur une carte postale. Sans enlever toute la richesse et la complexité du travail de réflexion opéré par ce penseur, cet argument un peu excessif n’est pas tout à fait faux. Après avoir développé toutes les interprétation d’une « idée », expérimenté et validé l’hypothèse capable de répondre au problème posé, il devient nécessaire de résumer ce travail.
La création d’un concept doit répondre à une nécessité, celle de résumer le résultat de notre réflexion, parce qu‘il n‘existe encore pas dans notre langage courant. Par la suite, ce concept fonctionnera comme un axiome, il nous permettra de repartir de ce repère pour aller plus loin. C’est une économie d’énergie, et nous n’aurons plus besoin de refaire systématiquement le chemin accomplit par la réflexion antérieure.
Dans la philosophie antique, l’apprenti philosophe travaillait à la concision de son esprit. La philosophie de son école était résumée en une maxime ou une
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sentence. Celle-ci était remise à l’apprenti philosophe, afin d’agir comme un levain susceptible de faire lever la pâte de son esprit. Cette maxime ou cette sentence, étant chargée potentiellement de toute la philosophie de l’école, celle-ci suivait l’apprenti tout au long de son parcours et déployait son contenu et son sens dans l’esprit du novice, au fur et à mesure de sa progression. Les maximes constituaient alors un excellent support de méditation. L’apprenti devenait, à son tour, capable de résumer sa pensée en une idée simple, mais percutante. La Grèce antique était d’ailleurs férue de ces sentences et ces dernières étaient souvent inscrites sur les murs de la cité, ou aux frontons des temples.
Nous ne nous rendons pas compte, que la longueur de notre discours fatigue notre auditoire.
Il nous est très difficile d’être dans l’acte de parler, tout en étant conscient de notre parole. Nous avons du mal à synthétiser notre pensée, pour l’exprimer clairement et simplement. Nous pouvons, par exemple, répéter en boucle les mêmes arguments, par manque d’assurance. Nous pouvons également avoir du mal à enchaîner logiquement nos propositions. Je ne m’étalerai pas ici sur l’hermétisme de ceux qui jouent les savants. Le pire c’est qu’ils rassurent ceux ou celles qui sont dans un rapport élitiste à la culture et n’ont d’autres repères, que l’idéologie du savoir. Ce type d’auditoire applaudit généralement ce qu’il ne comprend pas.
La concision de l’esprit s’obtient par des exercices de synthèse et de re formulation. Il est nécessaire de s’exercer à cette pratique. Il nous suffit d’observer le discours des grands orateurs. Ce qui emporte l’adhésion de l’auditoire, c’est souvent l’utilisation de phrases clés ou chocs qui résument toute une réflexion précédente.
Le travail de synthèse et de re formulation est généralement effectué par l’animateur, mais la phase de conceptualisation permet aux participants de pratiquer cet exercice. Ces outils pédagogiques sont généralement utilisés pendant le travail d’analyse.
A la fin du débat, il est demandé aux participants de proposer une maxime ou une sentence, susceptible de résumer le résultat de leur réflexion. Quelques unes sont proposées sur le Forum de discussion.
2) Remettre son ouvrage sur l’établi Toutefois, un concept, une sentence ou une maxime n’est pas une vérité. Les formes qui expriment les « idées » sont relatives à la langue et à la culture qui les ont façonnées.
Dans son célèbre livre « Logique, la théorie de l’enquête », John Dewey nous démontre, par exemple, que les concepts taxinomiques utilisés par Aristote, à qui l’on a accordé un statut ontologique illusoire, ne sont plus valables dans la logique moderne, fondée sur le mouvement et l’enquête permanente.
Il en va de même, bien sûr, pour les sentences, les maximes, les formules ou les axiomes. Il n’ont pas de caractère absolu, ce ne sont que des postulats.
Il en va de même pour les solutions que l’on a conceptualisées, pour régler les problèmes rencontrés.
L’on a coutume de dire que la philosophie n’apporte pas de réponse. Il faut
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toutefois comprendre qu’il ne s’agit pas ici d’une absence totale de réponse, sinon à quoi servirait la philosophie et la réflexion en générale, si cela ne nous apportait rien sur le plan pratique ?
Cependant le monde étant permanent, chaque situation problématique est nouvelle et nécessite une nouvelle solution. De même, qu’un serrure possède sa propre clé, un problème a sa propre solution. Les problèmes nouveaux qui surgissent peuvent bien ressembler à ceux que l’on a rencontrés antérieurement. Les solutions que l’on aura apportées aux problèmes antérieures, pourront certainement nous aider dans la résolution de nos nouvelles difficultés, mais jamais les résoudre totalement. Le contexte, les paramètres, les objets, les personnages… liés au nouveaux problèmes seront différents, car tout est changement, même si celui-ci s’établit sur des longueurs de temps abyssales. Ces nouvelles difficultés nécessiteront de nouvelles solutions capable de répondre à ces faits nouveaux.
Notre société devient stupide, parce que l’on tente d’appliquer mécaniquement des solutions ( qui ont réussi en leur temps) à des problèmes actuels différents.
Bien souvent, nous confondons généralement les concepts suivant : « solution », « vrai » ou« véracité », « vérité ». Une solution, qui établit ou rétablit le vrai dans une situation confuse et la véracité d’un fait ou d’un calcul ne sont pas absolus, car ils s’évanouissent avec le temps au même titre que le problème posé.
Sur le plan logique et conceptuel, et non sur celui de son existence ou de sa non existence, une « vérité », quant à elle, n’est pas soumise au changement. C’est un « principe » éternel, qui n’est pas soumis au temps.
Nous croyons à la vérité de notre monde, comme nous croyons à celle de notre existence, car nous refusons la mort et nous nous persuadons d’être immortels. Et si nous n’étions nous-même que des hypothèses ?
En tout état de cause, ce dicton populaire est encore tout à fait valable : « Il faut toujours remettre son ouvrage sur l’établi ».
V Une méthode en évolution permanente
Pour terminer, nous dirons qu’aucune méthodologie n’est absolue. Une méthode est une structure qui doit être, en permanence, critiquée de manière constructive et modifiée pour répondre à l’efficacité de la finalité recherchée. Une méthode est une somme d’outils, qui doivent être chaque fois améliorés.
J’exerce, au sein de mon activité, un travail de recherche sur des outils philosophiques capables d’aider la société à rechercher, à travers le dialogue, des solutions pour faire avancer l’humanité.
Ma propre philosophie est une recherche et rien n’est arrêté.
A l’origine dans la philosophie antique, les exercices dialectiques et dialogiques n’étaient forgés que pour être pratiqués par deux ou trois individus. Il suffit de se reporter aux dialogues de Platon.
Ce qui fait l’originalité des « Nouvelles Pratiques Philosophiques », c’est la création des outils dialectiques et dialogiques, à l’usage d’une « Communauté de recherche », composée de trois à cinquante personnes maximum.
C’est cette entreprise de recherche que je souhaite construire avec vous, car
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mon travail est un laboratoire à ciel ouvert. J’ai donc besoin de vos suggestions et de vos critiques constructives.
Certes , ce travail peut paraître fastidieux mais encore une fois, nous sommes ici dans une « pratique » philosophique et non dans une démarche purement spéculative Comme toute « pratique », il faut la répéter, l’exercer, l’exercer inlassablement jusqu’ à en être habité, pour en sentir les effets.
Le tourisme et l’esprit de consommation n’ont rien à voir avec ce travail. Je compte donc sur votre assiduité pour construire au café «Le Bastille »,
entre autres, un véritable cercle de réflexion fondé sur l’exigence philosophique, tout en gardant la convivialité et la joie nécessaires à nos rencontres.
Merci à toutes et à tous de votre confiance !
Bruno Magret
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