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 Vivons-nous dans une sidération collective ?

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AuteurMessage
fellion




Nombre de messages : 40
Date d'inscription : 05/04/2020

Vivons-nous dans une sidération collective ? Empty
MessageSujet: Vivons-nous dans une sidération collective ?   Vivons-nous dans une sidération collective ? Empty21/10/2020, 12:07

Vivons-nous dans une sidération collective ?


Sidération est un mot qui nous vient du latin et plus particulièrement du vocabulaire de l’arboriculture. Sidération désigne l’ensemble des maladies des arbres produite par la mauvaise influence des astres ou l’action néfaste des objets célestes tel des météores sur la végétation. Mot que l’on trouve chez Pline l’ancien; Stupor totum positum in caelo.
Puis il signifie en astrologie l’influence des astres sur la vie ou la santé d’une personne. Puis devint terme médical pour nommer état d’anéantissement avec la promptitude de l’éclair ou de la foudre. Cette sidération est formalisée dans le corpus hippocratique, en particulier « des Maladies II et III », sous le nom ἀποπληξια (apoplexie). Cette maladie est expliquée par un excès d’impuretés dans le cerveau et par l’afflux de phelgme ou de bile noire dans le sang.
Au sens beaucoup plus large et figuré la sidération est synonyme de profonde stupeur empêchant toute compréhension, réflexion, et action. Sens que l’on retrouve parmi les nombreux synonymes; abasourdi, ébaubi, éberlué, anéanti, baba, bée, choqué, coi, consterné, immobile, interdit, médusé, pétrifié, stupéfait…

Alors vient la possibilité du collectif, puis de vivre, et pour finir dans, à l’intérieur?
Définitions, réponses conduisent à des impasses. Alors la réflexion s’oriente sur le sens, quels sens porte cette question?

La sidération n’est pas la fascination. C’est l’atroce sentiment de l’impossibilité qu’il faudrait entendre comme incapacité définitive, car la sidération n’a pas d’objet positif, effet médusaire. La sidération est le sentiment de cette limite absolue qu’on appelle l’indépassable, celui de la borne.

Mais!

Considération pour la sidération.

Sidération, considération, une histoire de regard, l’un fige l’autre fait agir.

Comment dès lors œuvrer à ce qui doit franchir la sidération ? La considération comme écho et chainon dialectiques à ce qui doit dépasser la simple sidération pour se hisser au rang de l’agir, dont la philosophie installe la parole du devenir humain de chacun. Revenir de ce qui ne fait pas parole en nous, de ἐποχή (l’époké) de sens et de sensible, revenir de ce qui n’a pas trouvé le langage pour nommer, c’est-à-dire pour faire exister.
Le combat qui s’engage se fait indéfectiblement double : celui du dire, celui de l’agir. Il faut œuvrer à un performatif, parler, à savoir faire venir comme au lieu du discours ce que le vu, l’entendu, sidérant interdisaient.

Sidérer, considérer : soient deux verbes qui, d’abord, sont adresse et apostrophe au flux continu du langage – pour qu’ils fassent un saut hors de leur infinitif afin qu’ils s’infinissent dans le langage, afin qu’ils se meuvent de la langue au discours. La reconnaissance, passera en premier lieu par une reconnaissance linguistique : que la langue prend en considération.
Tel serait l’intime souhait. Poser une majuscule sur ce qui me fige. Devant une confusion trop facile et trop facilement absolvante qui s’apparente à une paralysie morale, le résultat de la sidération, adopter un mouvement de considération, c’est-à-dire d’observation, d’attention, de prévenance, d’égard, d’estime et par conséquent de réouverture d’un rapport, d’une proximité, d’une possibilité, observer ce que l’on a vu, entendu.
Adopter une méthode de vision, apprendre à voir au-delà de la distance, de la fermeture. Retrouver le vivant et la vulnérabilité dans chaque situation et se sentir à cet égard « semblable-dissemblable. » La littérature y aidera, la poésie notamment; le poète est celui qui a mal là où le monde a mal. Redonner à la littérature un pouvoir d’intervention dans le monde par l’imaginaire interactif qu’elle met en scène. Sans tomber pas dans le piège de l’esthétisme salvateur, aboutir sur le terrain qui conduit à l’action, prendre en compte.

Dans « considération », le cum étymologique peut trouver sa signification du côté du temps ou du côté de l’espace. Con, cum est un préfixe augmentatif, qui intensifie le sens du mot préfixé. Quelque  chose, donc, peut arrêter dans la considération si on la prend comme invitation à une prise de distance, par exemple lorsque la langue juridique emploie « Considérant que … » en tête de proposition ou lorsque la considération est corolaire de distinction : tel ou tel personnage s’attire une considération, une prise compte.

On peut être tenté de garder la sidération. Se souvenir que Joe Bousquet, le poète foudroyé, condamné à sa chambre et à la souffrance, commence ainsi son roman "Il ne fait pas assez noir" : « […] tout ce que je prémédite est de sidérer les désœuvrés qui me liront et de leur laisser un souvenir vide de toute aventure, mais qui voie ma faillite effacer derrière eux tous les chemins de leurs logis ». La sidération comme subversion, corrosion des intérêts mesquins. Un autre auteur, Georges-Arthur Goldschmidt, fait  de la sidération ce qui constitue l’essence de son écriture : « Rares sont les écrits qui atteignent ce degré de sidération où toute parole se défait et naît en même temps en un point de convergence en milieu d’être, car c’est bel et bien le point muet à partir duquel se fait toute parole ». Ce que Kafka dit, nul autre n’aurait pu le dire, et le dire autrement, ce qui entraîne son œuvre dans l’infiniment interprétable.

Contre le risque de fermeture de la considération, on peut aussi invoquer l’inconsidération. « La vie est un risque inconsidéré pris par nous, les vivants ». La première phrase d’"Éloge du risque" d’Anne Dufourmantelle se lit avec gêne lorsqu’on songe aux conditions de sa mort, philosophe et psychanalyste, morte sur une plage méditerranéenne en sauvant deux enfants menacés de noyade. C’est au nom de la considération que doit être saluée ici sa mémoire, exemple de sainteté non au sens du catholicisme mais de Lévinas. Inconsidération comme synonyme de liberté, le bris de la servitude  permettant de « ne pas devenir soi-même ».

Ne pas déconsidérer la considération mais à en approfondir la compréhension, en éclairer la nature : pas tant une valeur transcendante qu’un dispositif éthique, car elle dévoile un souci de soi qui vient s’appliquer aux autres et au monde. Sidérer, considérer, comme un battement, qui conjoigne la colère et l’attention, l’être-affecté et le scrupule. En effet, la notion possède l’avantage de se prêter aisément à la dialectisation avec ses notions antagoniques, sidération ou inconsidération, une capacité qui en assoit précisément la potentialité éthique. Conserver une capacité de sidération lorsqu’on s’interroge, il faudrait garder en soi tant de peur, de peur de parler, en parlant de tout cela, (ce qui me sidère). Conserver la force de la sidération pour pouvoir agir.

La considération porte le sujet considéré où qu’il se tienne dans un monde, monde commun. la considération accorde la reconnaissance d’une appartenance à l’humanité, le « droit aux droits » que théorisa Hannah Arendt. En somme, le « considérable » perle au croisement de la sidération et de la considération, celle-ci étant un dépassement de la première tout en en conservant sa force affective qui est de reconnaître qu’il y a un autre et qu’il mérite notre considération.
 
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